Le cheminement du projet d’architecture en lien avec un site
La conception d’une architecture en lien avec un site répond à des règles d’harmonie, d’échelles, de formes, de textures, de couleurs ou d’espaces. Une construction n’aura pas la même valeur, la même puissance dans un site à forme arrondies ou plates et dans un site aux formes vives et élevées. Elle peut se manifester de manière prépondérante ou dissimulée, elle peut venir renforcer un site ou au contraire briser un équilibre. Quelles règles d’harmonie peuvent être établies ? Quelle méthode d’analyse et de conception peut être appliquée dans un projet d’architecture ?
L’ouvrage Sites et Sitologie (1) écrit en 1974 par les architectes Faye et Tournaire aborde cette discipline par les mécanismes de la perception, la description physique d’un site, la recherche de structure harmonique et un essai de méthodologie. Pour suivre la voie qu’ils ont ouverte et tenter d’établir une méthode, il nous faudra cheminer depuis la perception du site à différentes échelles jusqu’à la construction progressive du projet en lien avec les éléments structurants du paysage.
Géologie et climat
L’étude physique du site est essentielle pour la compréhension de ses qualités sensibles de couleur, de lumière, de parfums… Le site physique est le résultat des métamorphoses du substrat géologique, de l’érosion due au vent et à l’eau et du climat. Par la suite, l’action de l’homme peut modifier en profondeur le site naturel et interagir avec le climat. La nature des roches joue dans la forme et dans la texture du site mais seulement en relation avec les conditions climatiques. En effet, sous des conditions hydrographiques et climatiques différentes, un substrat calcaire suscitera les paysages doux peu perturbés de la Normandie à la Champagne ou bien les escarpements rythmés où la roche est à nu des Causses, des contreforts des Alpes ou une partie du bassin méditerranéen. De mêmes conditions climatiques peuvent en outre provoquer des paysages variés : ainsi avec des structures de roches différentes, le littoral de la Normandie avec ses falaises crayeuses abruptes contraste avec les côtes granitiques de Bretagne. Dans le premier cas, la roche sédimentaire se présente en lits horizontaux et offre une faible résistance à l’attaque des vagues et des vents ; dans le second cas le matériau hétérogène provoque un front déchiqueté peu abrupte que les vagues peinent à éroder. Le couvert végétal peut apporter au substrat géologique un équilibre et une stabilité face à l’érosion, à condition que l’humus soit préservé par un système racinaire, par des bois, etc. Une modification anthropique de cet équilibre, des coupes d’arbres non maîtrisés, une mauvaise utilisation du substrat végétal, peuvent accentuer les phénomènes d’érosion. Cet effet est visible sur le pourtour méditerranéen où, dès l’époque romaine, les déboisements sur des sols peu épais ont entraîné la mise à nu des roches.
Perception du paysage
Les qualités physiques d’un site doivent être replacées dans un cadre plus ou moins large correspondant à une unité paysagère. A une échelle vaste, les paysages sont classés en régions correspondant à une évolution homogène, qui peuvent être le bassin d’un cours d’eau, une série de plateaux de même nature géologique, des ensembles végétaux homogènes, etc. Ces régions peuvent parfois être superposées aux typologies d’habitat dans la mesure où l’homme a jusqu’à une période récente construit avec les matériaux présents sur le site : la nature du sol influence ainsi les actions humaines. Des unités plus petites dans ces ensembles paysagés peuvent être à l’échelle d’une colline, d’un coteau, d’une portion de vallée, d’un petit cours d’eau, etc. : elles constituent des entités paysagères originales. L’analyse paysagère peut encore s’approcher du lieu et être limitée à un petit espace, une mare, un petit bois, un arbre et son environnement, etc.
La perception du site
Faye et Tournaire proposent une lecture du site à partir d’une analyse de la forme. En effet, les mécanismes de la perception répondent à certaines règles. Une forme est toujours perçue en relation avec celles qui l’accompagnent. Ainsi un paysage sera perçu par unités et groupement d’éléments sur différents plans suscitant la sensation spatiale. Des plans successifs sont caractérisés par leur silhouette et par des teintes, des lumières différentes. Dans un paysage brumeux, la succession de plans est nettement perceptible et les couleurs des plans les plus éloignés tendent à s’uniformiser. Les plans sont d’autant mieux perçus qu’ils sont composés de groupements : un bois, un village, etc. Les groupements se constituent par proximité et par similarité de formes et de matières. La similarité est importante pour donner au groupement sa cohérence. C’est pourquoi, dans un paysage, un ensemble bâti peut être perçu comme homogène ou bien disparate et dans ce cas le site semble mité par des constructions dispersées. Enfin dans ces groupes peuvent se distinguer des éléments majeurs dominants qui seront des points d’appel ou de repère. Dans la forme du groupement, en raison des lignes de force qui le composent, un élément se distingue et sert de point d’appel. Ce repère est d’autant plus fort qu’il est en relation avec tous les éléments du paysage. Ainsi le clocher en flèche d’une église ou un beffroi en fond de vallée apportera une dynamique et sera un point d’appel autour duquel les autres éléments du village seront hiérarchisés. Bien sûr, à cause de l’action humaine, un équilibre est fragile : le groupement bâti peut être disparate de couleurs et de matière, le bâti peut aussi être dispersé, un second point d’appel peut venir rompre la dynamique du premier, etc. Les perceptions auditives et olfactives construisent elles aussi cette perception spatiale : par le son, nous sommes en relation avec un espace plus large que celui limité par les frontières visuelles ; par les odeurs et parfums, nous sommes en lien avec l’intimité du paysage. Le bruit constant d’une voie de circulation ou de l’écoulement d’un cours d’eau sont aussi perçus comme des groupements, un son revenant par intermittence ou bien dominant par son intensité pourra être un point d’appel, la paroi réfléchissante d’un front de construction déterminera tout autant que des barrières visuelles les limites d’un plan, etc.
3 niveaux d’échelle
L’action de l’homme et ses effets
Par son action, l’homme peut manifester les qualités d’un site, l’ignorer ou bien le modifier en profondeur. Ces différentes attitudes résultent d’approches différentes du milieu, de crainte, de respect ou de mépris. Par crainte, l’être humain peut chercher à se protéger face à des phénomènes qui le dépassent. Mais la compréhension et l’assimilation du milieu peuvent conduire à une attitude de respect voire à une relation magique avec le milieu. Cependant, la maîtrise des lois physiques et le développement des techniques qui décuplent les moyens d’actions ont amenés l’être humain à mépriser, ignorer ou détruire les sites naturels. L’assimilation lente du milieu qui se manifeste dans l’habitat vernaculaire est faussée par les moyens technologiques. Pour construire en harmonie avec le site, il est maintenant nécessaire de développer des outils de compréhension du milieu, outils de perception sensible permettant de prendre conscience de ses caractéristiques et de ses qualités.
Approches pour la préparation du projet
La préparation d’un projet d’aménagement ou de construction en relation avec le site procédera donc par étapes, de l’analyse du paysage pour en dégager les éléments déterminants jusqu’à la conception du projet en lien avec ces éléments. L’analyse sera de plusieurs ordres : - approche physique permettant de comprendre la structure géologique et sa métamorphose sous l’effet de l’érosion ainsi que l’implantation de la végétation, le climat et l’orientation - approche historique de l’action de l’homme et de son adaptation au milieu, - approche sensible pour dégager les formes (ainsi que les matières, couleurs, sons, etc.), les lignes de force et les points de repère. L’approche sensible permet de dégager les formes (rondes ou angulaires, sites à structures fortes ou faibles), les lignes (convergence, dispersion, parallèles), les lignes de force et points de convergence, les matières (sensations tactiles et olfactives), les textures, les couleurs et les tons, les points d’attraction, les différentes échelles de perception (du lointain au proche) et l’organisation du bâti en rapport avec l’environnement naturel (groupement, mitage, éléments dominants). L’analyse du paysage révèlera les défauts dans l’implantation du bâti (mitage, rupture d’échelle, disharmonie des couleurs et des formes, rupture d’équilibres) et déterminera des points forts attractifs et des points faibles.
Echelle et les points de repère
Dans sa relation avec le site, le projet sera conçu en fonction de son échelle d’impact, des lignes de force et des points de repère ainsi que des qualités particulières du lieu. L’échelle d’impact dépend de la situation du projet et de son importance : l’impact d’une construction ou d’un ensemble de construction sera différent selon que le projet est situé sur le haut d’une colline ou sur un coteau très visible ou bien en fond de vallée et peu perceptible. Les lignes de force et les points de repère sont structurants pour le projet qui viendra les renforcer, les adoucir ou les briser. Toutes les caractéristiques sensibles du site peuvent être la base pour l’élaboration du projet : les matières et textures dominantes, les ambiances colorées, etc.
Conception du projet en relation avec le site
Ainsi un projet d’aménagement ou de construction réalisé en relation avec le site respectera quelques règles générales. Il évitera le mitage du paysage par des constructions dispersées et hétérogènes en procédant plutôt par groupement en lien ou en rupture avec les groupements avoisinants. Le projet sera réalisé en respectant les lignes de force et les points de repère du lieu : s’il existe un point d’appel important, il sera maintenu ; si le programme le permet, le projet pourra être un point d’appel. Il sera tenu compte également des circulations en lien avec l’environnement, des lignes de pente, des courbes de niveaux et notamment des crêtes ou des ruptures de pentes qui créent des cheminements naturels. L’orientation des constructions correspondra au meilleur ensoleillement mais aussi à la meilleure relation visuelle avec le site et son relief. Les matières, formes et couleurs du projet trouveront des pendants ou des correspondants dans l’environnement naturel ou bâti. Le projet sera mis en relation avec le paysage par la forme, l’organisation, l’échelle, la couleur, les matières, les espaces extérieurs en commun, etc. L’enjeu sera pour la réussite du projet de maintenir un équilibre existant ou bien de créer cet équilibre en révélant l’énergie propre à ce lieu
(1) Sites et Sitologie Paul Faye Bernard Faye Michel Tournaire Alain Godard éditions Pauvert, 1974
©vivarchi
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